jeudi 11 avril 2013

Victoire !





Xavier Casanova récidive pour Praxis Negra dans les foudres  et éclaboussures du polèmos. 



La guerre a pris fin de la plus belle manière qui soit : l’ennemi, écrasé, avait perdu sa superbe, plus de cent mille soldats et autant de chevaux, selles et trait confondus. En ville, l’armée paradait, ou plutôt ses troupes fraiches. Le renouveau est bien plus patent avec de jeunes recrues menés par de nobles officiers, plutôt qu’avec des gaillards couturés de cicatrices, amaigris par les privations, burinés par les intempéries, noircis par la poudre, conduits par des officiers sans noblesse, des bougres à qui on avait donné des galons dans la bataille, sans oser les leurs retirer après, s’ils survivaient, car c’étaient généralement de grandes gueules irascibles, capables d’entrainer leurs hommes n’importe où, même dans l’indiscipline, ce qui, vous en conviendrez, est bien moins ardu que de les convier jour après jour à côtoyer la mort. Dans les parades, il eût été inconvenant qu’ils marchassent en tête. La plupart étaient aussi courtauds que le gros des bataillons. Certains, même, avaient des jambes moins développées que le fourreau de leur sabre, ce qui nuit singulièrement à l’élégance militaire, autant pour défiler que pour valser : les deux occupations primordiales d’une armée victorieuse. Certains échappaient, certes, au tableau. Mais qu’importe puisque tous avaient pris des commandements aux frontières, dans des fortins dressés en plein vent, sur les crêtes et les rivages. Très officiellement, en place publique, on disait alors avoir confié la garde des dernières menaces aux soldats les mieux aguerris. En douce, en quelques salons et cabinets, on se réjouissait d’autant plus qu’ils fussent tous ainsi éloignés des places d’armes que la guerre avait été davantage funeste aux élégants qu’aux rustres. Outre les balles et les baïonnettes, les premiers mourraient de fluxions quand les seconds savaient se chauffer de peu, au besoin en se frottant les mains, geste qui leur sera plus tard reproché. Nigidus Figulus, dans son traîté  De hominum naturalibus, de la nature des hommes, avait déjà noté que des mains calleuses, frottées l’une contre l’autre, procuraient davantage de chaleur que des mains parfaitement lisses. À ses dires, les éphèbes aux doigts gourds pouvaient aisément devancer la nature en enduisant leurs mains de limons sablonneux qui, en séchant, leur tiendrait lieu de cal pour le cas où ils devraient se chauffer in modum rusticus, à la façon des rustiques. Faute d’une telle instruction, les nobles officiers trépassaient ainsi en gants blancs, versant leur sang, ou plutôt le crachotant, dans des carrés de mousseline immaculés brodés à leurs armes. Avec la victoire, le temps des récompenses. De très honorables pensions furent allouées à leurs survivants et à leurs successeurs. Quant aux officiers de circonstance il fut considéré : 1° que sans la guerre ils ne se fussent jamais aux autres mélangés ; 2° que toute guerre étant réputée avoir été provoquée par le vaincu, c’est à ce dernier qu’incombe la réparation de ses multiples dommages. Aux vaincus, donc, de pourvoir à leurs pensions. On pensait surtout qu’il était de bonne politique de conserver intacte la complaisance des officiers qui complaisent, et de diriger contre l’ennemi d’hier les aigreurs des autres. C’était, en outre, forcer les garnisons des confins à garder les yeux fixés hors du royaume, plutôt que de tourner leurs lunettes d’observation vers la capitale, pour guetter l’arrivée de la solde, des salades et des potins. Or, cette précaution s’avéra inutile tant il y eut de filles de mauvaise vie à dresser leurs huttes, tente et cabanes devant les fortifications, dont on assécha les douves pour l’agrément du commerce. Candidus Flaccus, dans son traité Expositio des passione homini, exposition des passions humaines, est le premier moraliste à avoir souligné, tirant leçon des invasions barbares, combien l’être humain est prompt à faire, lorsque les circonstances l’imposent, de nécessité vertu ; et lorsque l’infortune est absolue, de grande nécessité petite vertu.  Ce qui s’était écrit du temps des Pippinides n’a pas plus été contredit par les mœurs carolingiennes que les suivantes, jusqu’à nos jours. Ami lecteur, pardonne-moi d’avoir tant tardé à te dresser le portrait du personnage que je te convie à connaître, et t’invite à aimer ou détester, au gré de tes humeurs et jugements. Reconnais, cependant, l’utilité des préliminaires, voire leur nécessité. Tu sais, désormais que notre héros ne va pas sortir comme un lapin blanc du gousset d’un magicien. Ou se présenter à toi comme un colporteur s’octroyant le droit de frapper à ta porte, au nom de quelques émerveillements prodigieux suscités à l’occasion par l’étalage de ses camelotes et pacotilles ; éblouissements qu’il espère bien renouveler sur le champ, ici et tout de suite, en quémandant ton regard. Un coup d’œil ! Simplement un coup d’œil ! Ami lecteur, je ne quémande rien. Rien du tout, car je sais que c’est toi, désormais, qui me supplie de t’en dire davantage. Un nom ! Seulement un nom !

Xavier Casanova


Image : Jules Girardet (1856-1938). La Déroute de Cholet.
Musée d’Art et d’Histoire de Cholet. (Détail)