jeudi 28 mars 2013

Rue des Martyrs, de Pierre Brunel



En ce jeudi nouveau, c'est Virginie Trézières qui nous fait l'honneur de partager avec nous sa lecture du livre de Pierre Brunel, Rue des Martyrs. Une marche au coeur du passé et de l'âme d'un lieu, donc, avec en toile de fond la jouissance simple de l'écriture.

Alors qu'aujourd'hui la césure est consommée entre la docte littérature et l'Histoire – contrairement au XIXe siècle dont les domaines étaient confondus, dans la mesure où l'historien avait pour ambition de peindre une œuvre totale – Pierre Brunel (1) réussit avec brio cette résurrection bicéphale du passé. À l'aide de son périscope, appareil optique idéal pour voir ce qu'on ne fait qu'entrevoir, noyé dans cette pollution visuelle, il "rompt pour nous l'accoutumance" ! Ces quelques mots de Saint-John Perse (2) prennent tout leur sens dans le dernier ouvrage de ce professeur de lettres, spécialiste de Rimbaud. La verve poétique le contamine jusque dans ce livre pour nous conter l'histoire de Paris à travers cette Rue des Martyrs, comme le rappelle le titre. Il ose ainsi briser le cadre rigide du Temps et de l'Espace pour les superposer en une seule singularité littéraire, dans laquelle on croise les spectres de Victor Hugo, Napoléon, Nerval, Zola et bien d'autres ectoplasmes vaporeux mais étonnamment présents ! Fidèles témoins de cette excavation du passé, ils surgissent ça et là et nous accompagnent dans cette mystérieuse rue aux venelles arborescentes.

Le lecteur, qui se laisse choir dans la beauté de ces pages, sent sourdre au plus profond de lui-même l'effervescence d'une simultanéité d'existences antérieures. Atteint de métempsychose anachronique, on se laisse gagner par la fluidité du trait et l'alacrité du récit, élégamment relevé d’incises anecdotiques. On y apprend, par exemple, que le célèbre photographe Nadar répond au nom bohème de Tournachon, ou encore que Prosper Mérimée (3) entretint pendant quarante années une relation épistolaire amoureuse avec une artiste, bien qu’il vivait « sa vie conjugale avec sa mère », comme l’atteste la biographie écrite par Xavier Darcos.

On salue Pierre Brunel, ce brillant universitaire à la plume capiteuse et à la mémoire nécromancienne, pour nous élever avec lui vers les faîtes de l’Histoire française. La noirceur de l'insurrection de la Commune (4) et de l'affaire Dreyfus (5) laisse aussi place à des bulles pétillantes qui ne sont pas sans humour malgré le sérieux du propos.
Dès le titre, on se gausse d'avance en pensant au docteur Cottard (6) de Proust, qui prend tout au pied de la lettre ! Insatiable de locutions adverbiales et autres expressions tarabiscotées, il les apprend par cœur sans les comprendre pour les faire figurer à propos. D’un zèle studieux, il considère en effet chaque mot au premier degré. Ne lui dites donc pas que Pierre Brunel est l’auteur de Rue des Martyrs, il risquerait de nous reprocher de ne pas en voir ! Comment lui expliquer que nous sommes loin du film d'horreur Martyrs (7) de Pascal Laugier ? 

Faut-il alors rire, pleurer, revêtir le masque de l’effarement propre aux attentes de son locuteur, aux balbutiements du mot « Martyr » ? En effet, au sortir de ce feulement étrange, on s’imagine, séance tenante, les tourments des damnés que l’on châtie à coups de martinet, les brochettes de pendus du gibet de Montfaucon de la ballade de Villon.… mais qu’en est-il de cette rue des Martyrs revisitée par la mémoire au XXIe siècle ?

Emprunté du grec et du latin ecclésiastique, le substantif martyr a initialement le sens de « témoin » de Dieu ; celui qui souffre / se sacrifie pour sa religion. Par la suite, on retrouve ce mot en ancien français sous la forme de martirier au sens de « martyriser ». Filiation morphologique évidente car "martyriser" est composé du verbe « tirer » et il n'est pas inutile de savoir que l'une des tortures les plus fréquemment infligées était la dislocation des membres, d'où le nom habituel du bourreau au moyen-âge qui était tiranz !
Le martyr est-il donc ce supplicié écartelé auquel on « tire » tout ce qui se rattache au tronc ? Chose clairement montrée à l'écran dans le film de Laugier dans lequel les bourreaux d'une jeune femme lui "tirent" littéralement la peau, comme un vulgaire lapin qu'on dépèce !

Pourtant « ce [que Pierre Brunel] présente dans les pages qui suivent est tout à fait différent. »  La lecture de ce livre nous offre une agréable plongée en apnée dans le Temps, une bal(l)ade historico-poétique dont l’envoi nous rappelle combien Pierre Brunel a cette capacité de voir le monde pour l’enchanter ; se promener pour aussi réfléchir dans la solitude, sans le tarabuste assourdissant du monde parisien et retrouver l'immanence du passé. Et c'est à partir du présent que le promeneur le reconstitue à travers le jeu de la toponymie des noms de rues. Avant d’être baptisée Rue des Martyrs en 1750 à la mémoire du saint Denis décapité (8) sur le parvis de Monmartre, c’était le chemin des Martyrs, lui-même précédemment dénommé chemin des Porcherons ; quartier peuplé de cabarets dont la brasserie des Martyrs dans laquelle un cénacle d’artistes se retrouvait : Gustave Courbet, Edouard Manet, Nadar, Théodore de Banville, l'habitué Henry Murger et bien d’autres…

L’auteur nous précise qu’« Il n'y avait à l'origine ni projet ni tentative. Quelques pages, datées au fil des semaines, puis plus intensément, des jours, ont peu à peu pris la forme d'un journal interrompu, puis brièvement repris. »
Ainsi nous suivons « les promenades qui sont celles d'un vieux piéton de Paris », « Une volupté de la réminiscence […] Charme profond, magique, dont nous grise / Dans le présent le passé restauré ! » chantait déjà Baudelaire dans Le Parfum. L’effort de l'écriture exprime ici cette tentative pour raconter notre histoire mais aussi pour conjurer l’irréversibilité de l’oubli, comme ce petit garçon tué pendant le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851. Victor Hugo évoque la mort de ce « pauvre enfant de sept ans, [...] [abattu] rue Tiquetonne. »

Un voyage dans le temps et dans l'espace autour du quartier Montmatre juste pour la combustion du plaisir. Cette œuvre de belle facture permet ainsi de revoir le passé pour le transmuer au présent, recouvrer ce qui n'est plus. Notre meilleur guide, ces derniers pas vernaculaires de l'auteur :
« Ces pages, je les ai écrites pour le plaisir de les écrire, avec le sentiment constant d'un enrichissement de mon esprit, de ma vie et de mon être. »

Virginie Trézières

Pierre Brunel, Rue des Martyrs, Les éditions du Littéraire, coll. "La bibliothèque de Babel", décembre 2012, 164 p. – 18.70 €


mardi 26 mars 2013

Liam O'Flaherty, Nestbeschmutzer irlandais !








Nestbeschmutzer : Allemand, littéralement "celui qui souille son propre nid". C'est ainsi que Thomas Bernhard fut parfois traité par son Autriche natale. 
(Précisions du traducteur)
R.


"Vos livres sont obscènes. Vous ne faites que diffamer votre pays. Vous êtes le pire de toute cette bande d'écrivains dévoyés, achetés par les Anglais pour humilier la race irlandaise." Le roman de Liam O'Flaherty, A mes ennemis ce poignard, ne débute pas comme ça, mais c'est par ces mots qu'un personnage, une "sorte de professeur faisant autorité, ou presque, dans le domaine des traditions populaires, des chansons populaires, et certainement de la musique populaire, de l'Irlande et de ses environs" donne au texte sa tonalité. Et ces mots nous rappellent d'emblée un autre pays que nous connaissons bien.

Ecrit au début des années 30, ce voyage autobiographique d'O'Flaherty nous porte dans le sillage des errances de l’auteur en quête de la "vérité". Une vérité énigmatique et singulière, la vérité d'une oeuvre qui se construit contre le monde, contre Dieu, contre la révolution nationale, contre le communisme et contre le capitalisme, une vérité, enfin, pleine de paradoxes mais toujours nourrie par une certaine acrimonie autant que par une passion effrénée pour "la fornication, la beuverie et la bouffe".

 Dans cette quête nous suivons le narrateur de son lieu de naissance, les îles d'Aran, au large de Galway, jusqu'à la pointe de la Bretagne, sur une autre petite île, usée par l'érosion, par l'ennui, mais belle par la simplicité de caractère et la franchise de ses habitants, des pêcheurs « rouges » qui pensent que le Grand Soir viendra du monde des marins. Nous aurons aussi, chemin faisant, voyagé du côté de l'Espagne, puis à Paris, à New-York ou en Russie, d'un comptoir à l'autre, du salon d'un hôtel à un cabinet éditorial, sentant l'auteur traîner un regard ironique sur la veulerie humaine, sur la médiocrité, sur les penaudes illusions et les vains espoirs, mais dans une perpétuelle oscillation entre cynisme et tendresse. On est saisi par cette galerie de personnages qui semblent illustrer tous les contrastes de l'âme humaine : une riche américaine ayant quitté son mari pour suivre les pérégrinations d'un jeune peintre, un lourdeau d'éditeur allemand que l'auteur envoie balader en lui parlant Gaélique, un Français puant de prétention qui philosophe sur la corrida et le sadisme ibérique…

Pour O'Flaherty, le livre est également l'occasion d'évoquer sa rencontre avec la grande Histoire. Par deux fois, il eut à se confronter aux violentes secousses du monde. Lors de la première guerre mondiale d'abord. Engagé chez les Gardes Irlandais, il combattit en première ligne et fut gravement blessé à Langemark en 1917. Il raconte que cet évènement lui fit presque perdre la raison jusqu'à son arrivée à l'hôpital de Dublin où les médecins le crurent devenu définitivement dingue. Son second rendez-vous avec l'Histoire eut lieu après guerre, comme combattant dans les rangs de la Révolution irlandaise. Mais en 1922, lorsque le conflit tourna à la guerre civile, il choisit le mauvais camp - celui des communistes - et fit le coup de feu contre l'Etat Libre. Il raconte qu'en combattant pour tenir une position, celle d'un pont ouvrant sur O'Connell street, là où se trouvait le siège des Républicains qu'il fallait défendre, il entendit dans la foule une vieille mégère qui le maudissait (sans s'apercevoir de sa présence), elle hurlait : "Savez-vous que Liam O'Flaherty est mort ? Ce sanguinaire, cet assassin ! Dieu soit loué ! C'est l'homme qui a enfermé des chômeurs dans la Rotonde et qui a abattu ceux qui refusaient de cracher sur le Saint Crucifix ! "

Comprenant - bien avant Sean O'Casey - que l'heure était venue de fuir ce pays où la victoire était laissée aux grenouilles de bénitiers, il abandonna le champ de bataille et partit faire le vagabond à Londres. Pendant deux ans, il se déplacera armé, lorgnant dans les coins par crainte d'être assassiné par ses anciens compagnons d'arme. Et c'est ici, tout en se faisant entretenir par une de ses conquêtes, et avant qu'il ne l'abandonne lorsque le destin lui fut enfin devenu favorable, qu'il parviendra à faire publier ses textes pour la première fois. C'est aussi hanté par la désillusion de l'expérience de la guerre civile qu'il rédigera son célèbre roman Le Mouchard que son compatriote, John Ford, adaptera au cinéma dix ans plus tard.

Lisant O'Flaherty, on ne peut s'empêcher de songer à Miller, à cette aptitude à faire de sa propre vie - la vie d'un bel insouciant - un univers dans lequel la création ira puiser sans limite; à Orwell aussi, lorsqu'est évoquée la pauvreté de l'époque parisienne ou encore la remise en cause acerbe du modèle communiste qui renvoie à d'autres textes immenses de l'auteur anglais. Les admirables pages sur la guerre - la lâcheté des hommes jetés dans cet enfer - feront quant à elles penser au Céline du Voyage au bout de la nuit et cette guerre de 14 constituera d’ailleurs, pour Bardamu comme pour O'Flaherty, le début de l’errance. Enfin, une longue digression sur le jeu - les courses de chevaux en l'occurrence - peut être vue comme une forme d'hommage au Joueur de Dostoïevski.

Mais c'est à Fante que l'on songera immédiatement car le vagabond irlandais par son humour, par sa révolte jubilatoire contre sa communauté d'appartenance, et par cette thématique de l'écrivain fauché assoiffé de célébrité et de richesse, est sans conteste le frère maudit du génie italo-américain.

Son double de narration apparait comme un Bandini insulaire qui, en dépit de ses concessions au dandysme, sent toujours l'odeur des embruns et traine son accent et sa sagesse populaire dans les cafés romantiques et les cercles littéraires. A plusieurs reprises dans cet ouvrage - et surtout à la fin de celui-ci, par l'intégration au roman d'une nouvelle burlesque évoquant une demande en mariage - nous retournons avec l'auteur vers les rivages érodés des iles d'Aran. O'Flaherty enrageait contre la mise en scène de sa culture par les mystiques de la révolution mais il était bien un homme de sa terre, et il savait l'évoquer sans verser dans le grossier romantisme nationaliste. Fils d'Inishmore, il a parlé le Gaélique avant de connaître l'Anglais, il fut une sorte de devin pendant son enfance - ce qui lui fit croire à un destin religieux, contre lequel il s'est aussi révolté, comme nous pouvons le supposer. Il connaissait la douleur de la pauvreté, celle de l'enfermement géographique et de l'alcoolisme qui pèsent sur le funeste destin de son pays. Et lorsque Synge, par exemple, s'émerveillait des histoires de fairies et déblatérait au sujet des racines ethniques immémoriales des insulaires qui l'accueillaient, O'Flaherty évoquait quant à lui des histories de beuveries, de bastons et de déviances obscènes qui elles, bien plus que les fées, peuplaient son univers.

Marc Biancarelli

Traduction : J.-F Rosecchi

jeudi 21 mars 2013

Testres






A travers quelques errances et mouvements browniens en zone urbaine, la triste condition du mâle solitaire en milieu froid. Et il se trouve que le mâle est fumeur. Un texte d'Erwan Briant qui est notre invité du jeudi. 


Il écrasa sa cigarette avec douceur, comme s'il voulait éteindre chaque particule enflammée une à une. L'attente de la prochaine allait être longue, comme d'habitude. L'espace-temps entre deux cigarettes, pour un fumeur, est un espace de lucidité mentale presque inhumaine, surtout la nuit, mais il se réduisait pour lui à un non-temps, un vide, un trou noir.

Il sortit son paquet, marqué des fameux messages anti-tabac, "Fumer tue", "Fumer entraine une mort lente et douloureuse".
Lente et douloureuse, cela l'enthousiasmait. Il souhaitait mourir lentement, le douloureux en option. A vrai dire, il s'en foutait. Mais la mort brutale, qui vous tombe sur la gueule un beau jour de mai lui semblait intolérable. La vie se coupait, le film s'arrêtait à son paroxysme, ou bien l'intrigue n’était pas encore connue. Cela le faisait vomir. Son film devait avoir un développement logique, avec toutes ses phases, bien distinctes, que le monde des biaisés puisse le suivre avec entendement.

Il s'alluma une cigarette. Une cigarette perdant sa fraise est une mort brutale, si ce n'est qu'on peut la rallumer. Le briquet humain n'a pas encore été inventé. La mort interrompt définitivement la vie : cette phrase, un enfant serait capable de la comprendre, mais un adulte a beaucoup plus de mal. Il ne va pas "jusqu'au filtre". La mort, chers croyants, est une cigarette tombant dans une flaque, un triste jour de novembre.

Van Morrison jouait le fond sonore, « The Back Room ». Avec une cigarette, ça vous donne toujours l'air d'un cow-boy, même dans un 21m2 en plein 3ème arrondissement, rue de Sevigné. Le musée Carnavalet était sûrement l'un des pires de la ville. L'histoire de Paris fut certes passionnante, Lutèce, la Commune, la Révolution, les travaux haussmanniens... Mais après tout, qui s'y intéresse réellement, "jusqu’au filtre" ? Bien sûr les vieilles Parisiennes, anciennes fonctionnaires d'ambassade, secrétaires de ministres, se pavanaient dans les musées. C'était le grand train, et ce train, à 80 ans, elles le prenaient avec aisance, courant du matin au soir : un café avec une vieille connaissance, une visite chez le médecin, un restaurant avec une ancienne collègue, un saut chez le notaire pour régler les détails du testament, un apéritif dînatoire précédé d'un concert de classique à l'ambassade ukrainienne... Il n'aurait pas pu suivre ce train, la trentaine approchant. Duel de générations ou affrontement de classes ? Quoi qu’il en soit, pendant que les provinciales tricotaient ou jouaient au tarot, les old ladies de la capitale hantaient les théâtres et les brasseries.

Enfin, il s'en foutait. La télévision proclamait la future star planétaire du football. Ça aussi il s'en foutait. La vie parisienne l'ennuyait vraiment. Des amis, il en avait très peu, voire aucun, il ne s'en rappelait pas vraiment. Ses échanges humains se résumaient à un SMS à sa mère, chaque soir, à un bonsoir à sa voisine... Le gérant du tabac près de l’Hôtel de Ville était, à peu de choses près, l'humain avec qui il avait le plus de discussions.

Il pensait à arrêter, il avait toujours pensé à arrêter, depuis sa première cigarette. Il se trouvait alors à Londres et tout s'était enchaîné à une vitesse folle, sa première cigarette, sa première fille, son premier rail. Il avait abandonné la coke, désespéré les femmes, mais s'accrochait à la Marlboro rouge. C'était une époque bénie. Des instantanés lui revenaient, alors qu'il commençait à fumer le filtre. Cette fille notamment, traits imparfaits, cheveux longs et mal coiffés, mais dont le charme était surnaturel. Ses yeux n'étaient ni bleus ni verts. Il l'avait évidemment aimée, si l'on peut dire ça. Si l'on peut encore parler d'amour. Il écrasa sa cigarette fermement, la fumée s'interrompit sèchement.

L'amour, il ne savait pas s'il l'avait vécu. Comment le savoir sans avoir le moyen de comparer? Comment savoir ? Il n'avait vécu que très peu "en couple", en couple formel pour être précis. Il voulait être libre. Il avait eu un certain succès. A l'époque, son style décalé faisait craquer les filles. Il n'y pensait que rarement. Cette époque était révolue. Il ne voulait plus conquérir. Il ne voulait plus rien. Il n’avait plus que de futiles intérêts. Penché à sa fenêtre, il méditait sur tout. Le ciel était grisâtre, d'un gris pâle et stérilisant. Il ne pleuvait pas. Van Morrison n'éclaircissait pas son esprit. Ce n'était pas une journée à commencer quoi que ce soit. Il retourna se coucher.

Les nuages couraient à travers l'azur. Le vent des grandes villes est le moins supportable. Il amène un air nauséabond qui semble provenir du béton, mais qui est mis en mouvement et qui vous agresse par rafales. Il déambulait sur les quais de Seine, l'eau verte ne parvenait même plus à refléter le ciel, la ville était comme l'humanité, elle se décomposait et perdait de son âme. Cette rivière infestée lui semblait misérable. Elle lui inspirait une sorte de pitié, sentiment inventé par les puissants. La plénitude était si loin. Ce spectacle de marionnettes cachait un vide vertigineux. Il s'accrochait, sentait sa terrible présence, cette présence qui vous ramène sur terre après de beaux moments d'euphorie, cette présence qui vous dégrise, qui vous renvoie à votre poids initial alors que vous voliez, libre et souhaitant la paix dans le monde, le bien universel.

Les faiseurs de bien, il n'y croyait pas. Tout comme à l'existence de Dieu. A la séparation du corps et de l'esprit. Il ne songeait pas une seule seconde qu'une action humaine puisse être désintéressée. C'est le propre de l’homme, un égoïsme qui dépasse la définition même du mot. Un égoïsme permanent, encore plus fort s’il se déguise en son contraire. Altruisme, il n'aimait pas ce mot. Il sonnait tellement faux. Il avait établi une liste de mots insupportables à l'oreille et à la vue. Prêtre était en tête de liste, suivaient démagogie, caritatif ou encore vasectomie et fleur. Il se sentait désespéré. L'objectif de tout homme vivant est de dominer son prochain, même inconsciemment. Il avait de vagues souvenirs d'aide, d'hospitalité… Machination pour mieux réduire l’autre en esclavage ? La pitié n’était pas souhaitable. Il était certain pourtant d'en inspirer à tous.

Il marchait encore, évitant soigneusement de mettre un pied sur les lignes des dalles du trottoir. Il gardait cette habitude de son enfance. Comme une façon de rester "carré" sur l’inégal. Faire les bons choix. Rester dans le carré ou marcher sur la ligne. L'un comme l'autre peut apporter ce que tout homme souhaite, mais le chemin des lignes est plus étroit.

Il rentra chez lui, sortit une Kronenbourg et alluma une cigarette. Il n'aimait pas fumer en marchant, confondre ces deux plaisirs les annulait l'un l'autre. Il se mit à la fenêtre et fuma jusqu'à ce que la nuit tombe, couvrant le monde d'une obscurité qui cachait les vices les plus insondables... Il alla se coucher, prenant soin de fermer ses volets, histoire de ne pas pouvoir deviner l'heure, quand, demain, il ouvrirait les yeux.

Erwan Briant


mardi 19 mars 2013

O'Flaherty, quissu chì vastò u so nidu




Biancarelli ci face u ritrattu d'un scrittori irlandese pocu cunnisciutu, ma ci sarà forsa una piazza pà a musica di Liam O'Flaherty. Appitemu ci a rispunsabilità di ssi' paroddi : l'Irlanda hè u più beddu paese di literatura di u mondu. 

« I vosci libri sò sporchi. Diffameti a voscia nazioni. Seti l’ultimu d’unu stolu di scrivani sviati, compri da l’Inglesi pà inghjurià a razza irlandesa ». Ùn hè micca cussì ch’iddu cumencia u libru di Liam O’Flaherty, À i me Numici stu Pugnali, ma hè cussì ch’un parsunaghju, unu « spezia d’insignanti », chì « facia autorità, o guasgi, annant’à i tradizioni pupulari, o i canzoni pupulari, o forsa a musica pupulari, di l’Irlanda o i so circondia » li dà u so tonu generali. È guasgi, ghjà, ci cridariamu in un certu paesu di cunniscenza.

Scrittu à u principiu di l’anni 30, ‘ssu viaghju autobiugrafficu d’O’Flaherty ci porta annant’à i tracci di l’autori, à u mumentu ch’iddu parti à a ricirca di « a virità ». Una virità enigmatica, singulari, a virità d’un’ opara chì si custruisci contr’à u mondu, Diu, a rivuluzioni naziunali, u cumunismu quant’è u capitalismu, una virità infini carca à paradossi, ma sempri nutrita tantu da u rincori chè da a passioni sfrinata di « a furnicazioni, a sburnacera è u manghjà ». In ‘ssa chiestula, suvitemu u narratori da u locu nativu, l’Isuli d’Aran – à u largu di Galway – sin’à a punta di a Britania, annant’à un altru isulottu, vastu da a curruzzioni di l’elementi, da l’annoiu, ma bellu in a so simplicità è a sincerità di i so abitanti, piscadori russi chì credini chì u gran ghjornu vinarà da i marinari. Passendu, avaremu viaghjatu dinò in Parigi, in Ispagna, in New York o in Russia, da un comptoir à l’altru, da un salottu d’albergu à un cabinettu edituriali, è porsu sempri unu sguardu d’irunia annant’à bassezza di l’omu, a so midiucrità, ma dinò i so illusioni curci è i so cridenzi vani. Sempri trà cinismu è tinnarezza. È scruchjendu subratuttu una gallaria di parsunaghji chì parini d’illustrà tutti sti cuntrasti di l’anima umana : un’ Americana ricca chì hà lacatu u so maritu pà suvità in darru un ghjovanu pittori, un editori alimanu balordu chì l’autori manda à fassi leghja parlenduli in gaelicu, un Francesu sputritu chì filusuffighja annant’à a corrida è u sadismu di i Spagnoli…

Pà O’Flaherty, u libru hè dinò l’occasioni di vultà annant’à a so scontra cù a Stodia. In dui occasioni, hà avutu à cunfruntassi à i scuttussati viulenti di u mondu. A prima hè mentri u Primu Cunflittu Mundiali. Ingagiatu in i Vardii Irlandesi, cumbatti in prima ligna ed hè fertu gravamenti in Langemark in 1917. Ci conta chì ‘ssa passata l’hà fattu perda u capu o mancu sin’à a so affaccata à u spidali di Dublin, indu l’aviani crettu intuntitu pà u sempri. Dopu à a guerra, cunnosci u so sicondu appuntamentu cù a Stodia, è si batti in i ranghi di a Rivuluzioni irlandesa. Ma in 1922, allora chì u cunflittu hè duvintatu una guerra civili, sceddi u gattivu campu – hè cumunistu – è faci u colpu di focu contr’à u Statu Libaru. Dici chì luttendu pà tena u ponti chì apri annant’à O’Connell Street, dund’iddu era u sediu à difenda di i Ripublicani, senti in a folla una vechja cucca chì u ghjastimighja (senza sapè ch’hè quì prisenti) : « A sapeti ch’hè mortu Liam O’Flaherty, quiddu assassinu sanguinariu ? Diu ni salvi ! L’omu chì hà chjusu i disuccupati drintu à a Rutonda è chì hà sbattutu à quissi chì rifusaiani di stuppà annant’à u santu crucifissu ! » Capindu – bè nanzi à Sean O’Casey – chì l’ora hè vinuta di fughja un paesu indu triunfani i picchini, laca u campu di battaglia è parti à fà u paciaghju in Londra. Duranti dui anni, viaghjarà armatu è fighjularà in i canta timindu di fassi assassinà da i so anziani cumpagni d’arma. Ma hè quì chì, fendusi intratena da una zitedda ch’iddu hà siduttu, è nanzi d’abbandunalla quandi u distinu li sarà infini favurevuli, riisciarà pà a prima volta à fà publicà i so testi. È d’hè dinò in a spirienza dillusa di a guerra civili ch’iddu cumpunarà u so più celebru rumanzu, The Informer (1925), chì u so cumpatriottu John Ford ni farà un filmu deci anni dopu.

Quantu volti, lighjindu à O’Flaherty, pinsaremu à Miller – ‘ssa capacità à fà di a so vita propia, una vita à spissu irrispunsevuli, un universu senza limiti pà a criazioni – o à Orwell, quandu a puvartà cunniscita in Parigi, ma dinò i rimissi in quistioni acervi di u mudellu cumunistu, ci evucarani d’altri testi di lighjenda. I belli pagini annant’à a guerra – è u vigliaccumu di l’omini ciuttati in infernu – farani pinsà dinò à u Céline di Voyage au Bout de la Nuit, è d’altrondi, sarà in parti ‘ssa guerra di u 14 chì raprisintarà, tantu pà Bardamu chè pà O’Flaherty, u principiu di l’avvinta. Piddaremu dinò una longa digrissioni annant’à u ghjocu – quì i cursi di cavaddi – com’è unu spezia d’umaghju à u Dostoievski di U Ghjucadori.

Ma u più à quali no pinsaremu, senza l’umbra d’un’ esistazioni, sarà à Fante. Chì u paciaghju irlandesu, in u so taroccu, a so rivolta ghjubilatrici contr’à a cumunità d’appartinanza, ma dinò in a so tematica di u scrivanu fusciatu in circa di celebrità è di ricchezza, hè senza dubbitu un cucinu carnali di u geniu italò-americanu. Ma u so duppiu narratori ci cumparisci piuttostu com’è un Bandini isulanu chì, ben chè pruvendusila à u dandismu, musca sempri u ventu marinu, è strascina malgradi tuttu u so accentu è i so pruverbii in i caffè rumantichi è i chjirchji literarii. Cussì parichji volti in u libru – è subratuttu à a fini cù l’integrazioni à u rumanzu d’una nuvella burlesca annant’à una dumanda in matrimoniu – vultaremu cù l’autori versu i spondi crudi di l’isuli d’Aran. Chì ancu sì O’Flaherty si ribradia contr’à a missa in scena chì i mistichi di a Rivuluzioni aviani fattu di a so cultura, era bè di u so locu, è ni sapia parlà senza u rumantismu bestiu di i naziunalismi. Fiddolu d’Inishmore, avia parlatu u gaelicu prima di l’inglesu, era statu induvinu mentri a zitiddina – ciò chì l’avia fattu creda à una distinata rilighjosa, contr’à qualissa s’era dinò rivultatu, com’ì no a pudemu pinsà – è sapia tuttu u pesu di a puvartà, di a chjuditura giugraffica è di l’alcullismu annant’à u distinu maladettu di a so tarra. È quandu par esempiu Synge si smaraviddaia di i foli annant’à i fairies, o svaculia annant’à i radichi primitivi di l’isulani chì l’accuddiani, O’Flaherty discrivia iddu i stodii di sborgni, i cazzuttati o i svieri sporchi chì cumpuniani piuttostu meddu a rialità di u so mondu d’origini. 

Marcu Biancarelli

Illustration : Liam O'Flaherty himself ! 

vendredi 15 mars 2013

Piegnenu i mio ochji




La praxis, c'est autant la version que le thème. U testu di Savalli vistu da Jean-Yves Acquaviva. 


Ùn ci vularia mai à piglià u risicu di a vita. Eppuru tuttu andava ind'incanti. K. campava una vita chì parechji bramarianu,  stracquatu nu a bambace d'ogni ghjornu tracolmu à usanze casane è asgiu cumunu. Cù a so moglia eranu di luna, ancu dopu à quindeci anni di matrimoniu, i so dui figlioli criscianu à mezu à benistà è spannamentu. A fiura di a famiglia ideale. Si facia cacà à u so travagliu, ma più o menu quant'è l'altri miglioni d'impiecati custretti à vende u so tempu per una paga di merda.

Ma quale hè chì s'impreme di l'ore chì correnu linde ? À anima è carne li fermanu raffichi è morsi invece e carezze sculiscianu è vanu à perdesi. Da daretu à u so scagnu, à l'ora di principià sta ghjurnata stampata à a viciglia quant'à u lindumane, li vensenu e lacrime, intese à so gola strignesi, strangulata da mani di ventu. Ùn piignia più dapoi trent'anni. Li rivense u ricordu viulente di a morte di u so ziu, tandu sì n'era trafalatu assufucatu da u so signozzu; era cascatu in dinochji, u nasu muccicosu, u soffiu tagliatu, avia ancu resu fele; si ramintò e so lacrime.

Li si paria chì qualchisia li marturiessi l'ochji ma ùn ne surgia cà dulore. Mancu una lacrima à nasce da a so parsona. Li ghjunse a panicca, a paura ch'ellu intressi nimu à vedelu cusì, à vede a so pena à palesu. Ùn saparia piattalla, fà nice torna una volta, cum'è s'è tuttu fussi bè, tuttu nurmale. Nurmale. Si pisò è circò à spichjassi in u vetru di a finestra. Ùn vide nulla, nè u so visu nè a cità landana. K. si dumandò s'ellu ùn era digià mortu, s'ellu ùn era u sonniu d'un mortu. Sò solu i fandonii à ùn avè riflessu, criature di l'ombra; li vense lindu ciò ch'ellu era, un natumortu, un baschicciu viutatu da a vita, rosu da u stà bè.
Hè cusì dura à ùn pudè cacciassila cù nimu, mancu cun sè stessu. L'avia amurata a so vita, scelta, ci avia cridutu. Nisun dannu à minallu ma mancu frizzura à scuzzulallu. A sviata di u tepidu, u stumacheghju di a misura è di u cumprumessu. St'allivellu tantu bramatu da tutti l'avia trovu ellu, l'avia toccu è oramai li dava u malannu. Una felicità cumuna à allucà cù e mettastase.
Spalancà u purtellu è saltà.

Ùn saltò micca. Nimu ùn intrì in u so burò quella mane, stede arrittu di punta à u purtellu aspittendu u sullevu di e lacrime. Ùn vensenu mancu tandu. Una volta di più ùn accadia nulla nè u bè nè u male, nulla.

Magnificu lacciu, senza esciuta, studiatu da lascià e so vittime pure è sanicce. Si dumanda perchè certi a si francanu, si dice ch'avarianu à esse alzati l'altari à nome di tutti i natimorti st'eroi, i soli veri eroi di stu mondu.

Vularia tantu piegne, sbaccà a matre di l'angoscia è piegne à lacrime acide, piegne cum'ellu si cappia un frusciu, à zirlate, sin'à viutassi d'ogni nurmalità, seccu cum'è una misgiccia. K. a misgiccia. Nulla ùn ne sorge. Mancu lacrime.

K. staccò u so sguardu di u viotu. A matre ùn hà cidutu è u fiume a si corre tranquillu, ascosu indu u so lettu calmu è sirenu. S'asciuva l'ochji, per abbitutine è perchè li brusgianu, perchè avaria vulsutu sente corre annant'à a so pelle una candella d'addisperu.  Da quì à una stundetta K. avarà riflittutu, si sarà rifiatatu è ogni cosa torna assistata. Hà da vultà à a so vita, quella ch'ellu ùn hà forse mai lasciatu, a so vita d'omu felice, a so vita morta. Rientre in casa cum'ellu s'entre ind'una cascia, ritruvà a so monogamia, i so dui cacci è tuttu u so trecciu. Viaghjendu si dumanda duve sò avviate e so lacrime, s'omu e pò perde cum'ellu perde e so chjave, cum'è un connu. Ognunu sà piegne, ancu i scemi, ancu l'altri. Soca li ci vulia una ragiò cum'è per a morte di u ziu.

Cusì andò a vita di K. cum'ella era sempre andata. Ma qualchì mese dopu vensenu torna i pienti asciutti, eppo' torna, eppo' torna. Più u tempu passò è più e crise  accadinu à spessu assin'à ùn piantà mai.


U lindumane di u macellu u giurnale disse : Un mataratu si tomba moglia è figlioli; a pulizza ùn cunnosce ancu u perchè : scimizia, vindetta, ghjilusia ? U solu dettu di u suspettu fù : "Piegnenu i mio ochji, m'anu salvatu, piegnenu i mio ochji."

Pierre Savalli

Traduzzioni : Jean-Yves Acquaviva

Illustration : Chaïm Soutine, L'homme bleu sur la route.